Canal Saint-Martin
Quelques soit la manière dont nous franchissons une rivière ou un fleuve, à chaque passage nos yeux s’attachent à la surface de l’eau un bref instant, pourquoi ? Sans doute parce que l’eau reste dans notre mémoire la plus belle image de la matière du temps de vivre, à la fois liquide, fuyant et immobile.
Une fois, deux fois, dix fois, cent fois, Sonia est passée sur le pont de Sully l’œil attiré par cette musique de lumière que donne la Seine la nuit tombée. Le mouvant de l’eau laisse traîner sur la rivière un serpent de lueurs caché dans le reflet de la forge nocturne. La ville, son scintillement magique Sonia les aime depuis l’enfance.
Un jour elle en saisit l’idée parce que l’art commence toujours par une sensation, un jouet mental qui demande impérativement une « façon » de faire. Mais ce ne sera pas la Seine, trop romantique, que Sonia va prendre par les yeux ; pressée par ce désir d’immobilité mouvante, elle va chercher là où « l’animal élément » remue à peine, là où le miroir du bougé de la nuit sait se taire : le canal, l’eau presque sans mouvement du canal, sans doute la plus parfaite pour ce qu’elle espère faire apparaître.
Ce devenir luisant et perpétuel des feux de la nuit cachant et révélant l’immobilité qui fascine et le mouvement qui endort, se fait plus évasif sur la surface sombre de cette voie d’eau utilitaire et presque morte. Toute l’agitation se change en formes périodiques, identiques mais toutes dans leur différence ; elle perd son sens pour se fondre dans l’écho lointain d’un bal éternel.
Éclipsée par le chatoiement des lumières elle n’est plus que musique visuelle, mélodie de la surface de l’eau qui chante la ville. Augustin d’Assignies a glissé sa musique sous ces reflets colorés, il n’illustre pas les images que Sonia et Lazhar ont captées, il en fait un envers, extérieur à la fête lointaine, donnant le chant de la profondeur, la voix inquiétante de l’eau dormante et noire.
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